Lettre du LAAS

Publication trimestrielle du Laboratoire
d'analyse et d'architecture des systèmes du CNRS

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© LAAS-CNRS

Le monde de l’électronique de puissance, qualifié de More than Moore par les anglo-saxons, a connu au cours des trois dernières décennies de véritables révolutions. Ces profondes mutations ont façonné l’histoire de l’électronique de puissance au LAAS et Jean-Louis Sanchez en a été un acteur passionné et reconnu de la communauté scientifique.

Le LAAS a été créé en 1968 en pleine émergence de la technologie microélectronique sur silicium. A cette époque, le laboratoire s’est positionné en précurseur car son directeur, Jean Lagasse, avait obtenu du CNRS des moyens technologiques pour développer des composants électroniques sur silicium. Très naturellement, les axes de recherche se sont structurés selon le type de composant : composant bipolaire et composant unipolaire ou MOS. Pour chacun de ces composants, leurs propriétés en tant que dispositif de puissance ont été étudiées et ont permis de structurer l’activité en électronique de puissance sous l’égide de deux éminents chercheurs au caractère trempé, Pierre Rossel, le catalan, pour les composants MOS et Philippe Leturcq, l’ariégeois de coeur, pour les composants bipolaires.

Premières armes en technologie silicium
 C’est dans ce contexte effervescent que Jean-Louis Sanchez arrive au LAAS, en 1982, avec son diplôme d’ingénieur INSA option microélectronique en poche pour démarrer un doctorat. Le LAAS s’est doté récemment (1979) d’une nouvelle salle blanche de 350m2 et les nouveaux moyens vont permettre de réaliser des composants bien plus performants. Jean-Louis intègre le groupe “Composants et circuits à effet de champ” de Pierre Rossel et va explorer les propriétés à l’état passant des transistors DMOS de puissance coplanaires et verticaux. Une partie importante de son travail de thèse est consacrée à la réalisation technologique des MOS de puissance dans un objectif d’optimisation de ces propriétés. Jean-Louis fait ainsi ses premières armes en technologie silicium et c’est là qu’il a forgé nombre de ses amitiés et ses convictions de chercheur qui ont inspiré la suite de sa carrière.

C'est dans ce contexte d'effervescence encore amplifiée par l'installation d'une nouvelle salle blanche au LAAS que Jean-Louis Sanchez va faire ses premières armes en technologie Silicium.

Il soutient brillamment sa thèse en décembre 1984 et se porte candidat avec succès au CNRS, à un poste de chargé de recherche, sur une thématique d’intégration de puissance basée sur un concept original d’intégration fonctionnelle associant dans un même cristal de silicium une fonction interrupteur de puissance et ses fonctions annexes de commande et protection pour le domaine des hautes tensions (≥600V). Pour cela, il change de groupe de recherche et mènera ces travaux à partir de 1985 au sein du groupe “Composants bipolaires” sous la direction de Philippe Leturcq.

Du composant bipolaire à la puissance intelligente
C’est une époque charnière en électronique de puissance. Grâce à de nouvelles avancées technologiques, la loi de Moore se vérifie et les technologies CMOS deviennent microniques. Ces avancées bénéficient largement aux technologies d’électronique de puissance et en particulier au transistor VDMOS de puissance qui devient beaucoup plus attractif que le composant bipolaire du fait de sa commande en tension. De plus, la compatibilité de ce composant avec les technologies CMOS, dédiées au traitement de l’information, permet l’avènement des technologies de puissance intelligente (Smart Power) où de nouvelles fonctionnalités de commande, diagnostic et protection sont co-intégrées avec l’interrupteur de puissance. S’opère alors un changement de paradigme où les efforts technologiques et de recherche vont se porter sur ce composant.

paradigme

Mais le transistor VDMOS n’a pas que des avantages et sa plus grande limitation est sa résistance à l’état passant qui croît de façon significative avec la tenue en tension du composant, inconvénient que ne connaît pas le transistor bipolaire grâce à la modulation de conductivité par les porteurs minoritaires. C’est ainsi qu’est validé expérimentalement en 1979 par B.J. Baliga, le composant IGBT qui marie les avantages des deux transistors : facilité de commande et faible résistance passante. Ce composant, difficile à contrôler technologiquement, ne fera cependant son entrée dans les montages d’électronique de puissance que dans les années 90.

un thyristor à commande optique

Le concept d’intégration fonctionnelle est né
Jean-Louis vient donc d’intégrer le groupe “Composants bipolaires” et son premier défi consiste à définir et optimiser une filière technologique planar adaptée à la réalisation de dispositifs haute tension associant des éléments MOS et bipolaires. 
Sa persévérance et son optimisme indéfectible lui ont permis de valider le concept en réalisant un thyristor à gâchette isolée commandé par voie optique. Le concept d’intégration fonctionnelle était né.  Les travaux d’habilitation à diriger les recherches de Jean-Louis, “Intégration fonctionnelle de composants de puissance : principes et technologies” soutenue en mai 1995 ont probablement constitué un catalyseur dans le renouveau des approches de recherche mises en œuvre au LAAS dans le domaine de l’électronique de puissance.

 Ce nouveau concept d’intégration fonctionnelle rendait plus accessible le Graal du concepteur d’électronique de puissance, l’interrupteur bidirectionnel

Et sa personnalité conciliante et pleine d’optimisme y est surement pour beaucoup. En effet, cette convergence des technologies MOS et bipolaires au sein d’un même composant remettait en cause nos approches de recherche organisées par type de composant. Ainsi, en septembre 1991, les deux groupes de puissance fusionnèrent en un seul groupe “Composants et Intégration de Puissance” sous la responsabilité de Pierre Rossel, Jean-Louis constituant le lien naturel entre les deux anciens groupes.

Cette nouvelle synergie s’est également accompagnée d’un rapprochement avec les équipes du LEEI, maintenant intégrées au LAPLACE, qui travaillaient sur les architectures des systèmes de puissance. En effet, ce nouveau concept d’intégration fonctionnelle rendait plus accessible le Graal du concepteur d’électronique de puissance, c’est-à-dire l’interrupteur bidirectionnel. Une première validation d’interrupteur bidirectionnel en courant fut le thyristor dual, fruit d’une collaboration fructueuse avec l’équipe de Henri Foch et qui fit l’objet en 1996 d’un brevet CNRS commun. Cette expérience réussie fut aussi à l’origine d’une nouvelle approche de recherche descendante ou “top-down” - c’est-à-dire des besoins du système à ceux du composant - par contraste avec l’approche ascendante ou “bottom-up” que nous avions l’habitude de mettre en œuvre en tant que concepteurs de composants semiconducteurs. 

Thyristor dual

Pour accompagner ces révolutions de l’électronique de puissance, la création en 1996 du groupement de recherches (GDR) du CNRS “Intégration en électronique de puissance” initialement présidé par Robert Perret a permis de largement disséminer ces concepts dans la communauté scientifique nationale et de créer de nouvelles synergies, en particulier, dans le domaine des composants passifs intégrés et de la problématique du refroidissement. Grâce à son leadership reconnu et incontesté, Jean-Louis prendra en 1999 le relais de la présidence du GDR à la suite de Philippe Leturcq.

Historique

 Une forte interaction avec les industriels du domaine
Parallèlement à la synergie entre les différents laboratoires du génie électrique, s’est opérée une forte interaction de la communauté avec les industriels du domaine. Ainsi, dans le cadre de différents programmes de recherche financés par le ministère de l’industrie, Jean-Louis s’est retrouvé acteur majeur dans une collaboration de plusieurs années (1993-1999) avec STMicroelectronics à Tours pour mettre en œuvre des principes d’intégration fonctionnelle pour des produits fonctionnant sur le secteur.
Outre cette collaboration avec l’industrie du semiconducteur, les équipementiers ont sollicité les laboratoires pour introduire dans leurs systèmes ce nouveau composant qu’était l’IGBT. Ainsi est né en 2001 le laboratoire commun PEARL, Power Electronics Associated Research Laboratory, piloté par Alstom, leader de la traction ferroviaire, en partenariat avec Boostec, Epsilon et les laboratoires LAAS, LGET, GECET, LEEI et LGP. Jean-Louis en était le responsable au niveau du LAAS pour la thématique “Intégration de puissance autour des composants de puissance”. Le succès de ce premier laboratoire commun a permis de renouveler l’expérience dans un deuxième laboratoire commun PEARL2 (2004-2007) avec un partenariat industriel étendu à l’aéronautique, Safran en l’occurrence.

"L’élève a dépassé le maître : cette thématique du stockage intégré lui a valu la médaille de bronze 2011 du CNRS"

Défi des inductances intégrées
Jean-Louis était toujours partant pour de nouveaux défis et s’est alors engagé avec une petite équipe sur la problématique des inductances intégrées : c’est le projet INDUCSIL qui associe le LEG, le CEGELY et le LAAS et deux partenaires industriels, STMicroelectronics et Microspire. L’enjeu est ici d’introduire par des procédés d'électrochimie des couches épaisses de cuivre et de matériau magnétique dans la filière silicium, en vue de réaliser des microbobines de l'ordre du mH pour la conversion DC/DC de petite puissance.

Microbobine de type spirale

Cette activité sur les composants passifs lui semblait essentielle pour aller vers l’intégration 3D hétérogène d’un microconvertisseur. Outre les inductances intégrées, il fallait aussi se préoccuper des condensateurs intégrés. Il propose ce sujet et convainc ainsi une jeune doctorante, Magali Brunet, effectuant sa thèse à Cork, en Irlande, de se porter candidate au concours d’entrée au CNRS. Depuis son intégration comme chargée de recherche en 2005, l’élève a dépassé le maître : cette thématique du stockage intégré lui a valu la médaille de bronze 2011 du CNRS.

Une partie du groupe ISGE

La prochaine révolution des composants semiconducteurs à grand gap
Dans le domaine du refroidissement, l’aventure a commencé autour d'un verrou technologique commun au LAAS et au LEG (maintenant G2ELAB) : la gravure profonde du silicium.

Réalisation de microcaloducs sur silicium

Jean-Louis et les équipes du LAAS voulaient maîtriser cette étape technologique pour réaliser des condensateurs sur silicium en augmentant par ce procédé la surface des condensateurs. Christian Schaeffer et son équipe du LEG travaillaient à réaliser des micro-refroidisseurs sur silicium monophasique, diphasique ou à procédé caloducs. Grâce aux rencontres favorisées par le GDR “Intégration en électronique de puissance” et le GIRCEP présidé par Pierre Merle à la fin des années 90, une action commune sur la réalisation de microcaloducs sur silicium est née et a pu être financée par le GDR, ouvrant la voie par la suite à de nouveaux projets de recherche aussi bien dans le domaine du microrefroidissement que des microcondensateurs.
 La dernière révolution de l’électronique de puissance qui est en cours est celle des composants semiconducteurs à grand gap. Il y a presque 20 ans, quand il avait fallu au LAAS se déterminer sur le SiC, le technologue que Jean-Louis était, voyait que le défi était prématuré vu les problèmes de qualité de matériau encore irrésolus. Il ne voulait pas cependant rater la révolution du GaN sur silicium et s’était impliqué avec passion dans le projet de l’IRT de Toulouse pour porter cette thématique. Son cœur trop généreux ne lui a pas laissé le temps de voir les fruits de son travail. Nous, ses héritiers scientifiques, pouvons être fiers et reconnaissants de l’héritage qu’il nous a laissé et nous sentons investis du devoir de poursuivre son œuvre interrompue.

Marise Bafleur,
Directrice de recherche au CNRS,
Responsable du groupe ISGE du LAAS

L’électronique de puissance au LAAS
Mars 1992 : création du groupe CIP, Composants et intégration de puissance, placé sous la responsabilité de Pierre Rossel.
Janvier 1995 : Pierre Rossel est nommé directeur du premier laboratoire commun LAAS- Motorola, le LCIP, Laboratoire capteurs et intégration de puissance.
Georges Charitat devient responsable du groupe CIP.
Avril 2002 : décès de Georges Charitat. Jean-Louis Sanchez lui succède en tant que responsable du groupe CIP.
Juillet 2005 : Jean-Louis Sanchez est nommé responsable au LAAS du pôle MINAS, Micro et nanosystèmes. Marise Bafleur lui succède à la tête du groupe CIP.
Octobre 2005 : Le groupe CIP s’élargit dans le domaine de l’énergie et change de dénomination : ISGE, Intégration de systèmes de gestion de l’énergie.