Lettre du LAAS

Publication trimestrielle du Laboratoire
d'analyse et d'architecture des systèmes du CNRS

JLSeclosion

© LAAS-CNRS

C’était un méditerranéen aux cheveux blonds et aux yeux clairs, un terrien fidèle à ses attaches avec un appétit de connaissance. C’était un homme paisible, calme et rassurant qui devenait bulldozer au travail ou sur les stades. Il était souple quand il le fallait, acceptait les contraintes de groupe mais savait à son tour animer et diriger. Il ne rechignait pas au maniement de concepts abstraits mais voulait voir et toucher leurs conséquences concrètes. Il était fort et équilibré, chaleureux, aimant la vie.

Au début des années 80, Jean-Louis Sanchez était élève-ingénieur au département de génie physique de l’INSA de Toulouse. En dernière année d’études était alors proposée une option « micro-électronique » en alternative d’une option « matériaux » pure et dure. Jean-Louis a choisi la première : son chemin professionnel était dès lors tracé ! Son diplôme en poche, il a voulu goûter, au LAAS, aux joies et aux angoisses de la recherche. C’est Pierre Rossel, tôt parti lui aussi, qui a commencé son initiation, initiation réussie : Jean-Louis a mené très vite à bien son travail de thèse de docteur-ingénieur sur un sujet en pointe à l’époque, l’évaluation des performances à l’état passant de ces transistors DMOS qui venaient de faire leur apparition dans la panoplie des composants de puissance.

Premier galon de chercheur
Je me rappelle très bien sa soutenance, en 1984 : c’était un impétrant solide et persuasif devant le jury, seul un léger dandinement trahissant son émotion. C’est probablement lors de cette soutenance qu’il a gagné son premier galon de chercheur, et c’est aussi à ce moment que j’ai pensé à lui pour prendre en charge un sujet que j’avais en tête depuis quelques années, celui de l’intégration de puissance, plus particulièrement de l’intégration « fonctionnelle », c’est-à-dire la réunion, dans un même cristal, d’une fonction interrupteur, fondamentale en électronique de puissance, et de toutes les fonctions annexes de commande et de protection, en visant des applications de gestion directe de l’énergie électrique. Le sujet n’était pas simple au plan des concepts mais c’était surtout un véritable défi technologique. Un sujet un peu original, un poste CNRS créé pour les besoins de la cause, un bon candidat, et vogue la galère… Car ce fût une galère qui aurait coulé cent fois si Jean-Louis, avec courage, intelligence et obstination, n’avait, par ses initiatives, maintenu le bâtiment à flot. Nous nous sommes bien vite aperçus que si tout allait bien sur le papier, il en était autrement pour les réalisations. Les difficultés étaient telles et les échecs si répétitifs que Jean-Louis et moi nous raccrochions nos espoirs à des aphorismes comme « cent fois sur le métier remettez votre ouvrage » ou, pire, fantasmions sur l’histoire des Shadocks. Eh bien ! L’Artiste, car c’en était un en matière de technologie des semi-conducteurs, finit par nous mener à bon port, au début des années 1990, avec, dans la cargaison, non seulement le « thyristor à gâchette isolée », qui était jusque là l’Arlésienne, mais toute une méthodologie de conception et de réalisation de composants de puissance originaux.

Thyristor

Difficultés formatrices
Ces difficultés ont trempé le caractère de Jean-Louis et, peut-être lui ont-elles permis, parce qu’il les a surmontées, d’affronter celles, plus dures selon mon point de vue, de convaincre, de diriger et de rester calme…
La capacité de Jean-Louis à encadrer mais surtout à conduire et à soutenir de jeunes chercheurs m’est apparue très tôt : sa participation active et bénéfique à l’encadrement des travaux des doctorants de mon équipe, notamment ceux de Véronique Liberos, qui a soutenu sa thèse en 1989, m’a amené, alors qu’il venait d’accéder au grade de chargé de recherche au CNRS, en 1990, à lui confier l’entière responsabilité de diriger les nouveaux thésards sur le sujet de l’intégration de puissance. Je garde le souvenir attendri de la sollicitude – il n’y a pas d’autre mot – dont il a entouré Radouane Berriane, « son » premier troisième cycle. Cette sollicitude ne s’est ensuite jamais démentie. Et puis, les choses se sont accélérées. Comme le bon vin, Jean- Louis a gagné, avec la maturité, en profondeur et en personnalité. Habilité à diriger des recherches en 1995, directeur de recherche CNRS en 1998, Jean-Louis a continué à développer ce thème de l’intégration de puissance dont nous avions un moment douté qu’il émergerait et pourrait attiser des appétits. Les « anciens » du groupe Composants et intégration de puissance (CIP) du LAAS, sous l’oeil desquels tomberont ces lignes se souviendront de l’excitation, et parfois de l’inquiétude, que provoquait en nous le démarrage de collaborations industrielles nouvelles : Télémécanique, SGS-Thomson, … ou le « décrochage » de contrats de recherche : DIELI, SERICS etc. Il y eut de belles publications, de belles thèses et même des brevets d’invention (limiteur de courant série …).

"Il y eut de belles publications, de belles thèses et des brevets d'invention."

Le tournant du Groupement de recherches
La création en 1996 du Groupement de recherches CNRS « Intégration en électronique de puissance » qui a réuni les efforts sur ce thème de la plupart des équipes nationales concernées par l’électronique de puissance proprement dite et par la technologie de ses composants, a marqué un autre tournant : l’intitulé même de ce GDR montre quel rôle éminent a pu jouer Jean-Louis dans son succès. Bien sûr, son apport scientifique a été considérable, mais ses qualités humaines ont aussi merveilleusement joué dans le relâchement des tensions qui résultaient, au départ, d’une sévère concurrence entre laboratoires. Les amitiés alors nouées n’ont jamais été trahies : nombreux étaient les « amis du GDR » venus des quatre coins de France se recueillir à Azillanet en ce triste mois de mai 2011.
Lors de mon départ à la retraite en septembre 1999, c’est tout naturellement que Jean-Louis a repris les rênes et porté sur les fonds baptismaux le Groupement de recherches successeur « Intégration des systèmes de puissance ». Invité à assister aux « rencontres » toutes amicales et scientifiques des chercheurs de ce nouveau GDR, j’ai eu la fierté presque paternelle de voir notre Jean-Louis endosser avec calme et sérénité son costume de directeur. J’étais loin, alors, de me douter qu’il en porterait un jour un semblable dans le saint des saints du LAAS !
J’ai perdu un élève et un ami. Notre aventure a pris fin. Le sort s’est acharné sur les piliers du groupe CIP : Pierre Rossel, Georges Charitat, Jean-Louis Sanchez. Que le LAAS n’oublie jamais ce que ces piliers-là lui ont apporté.

Philippe Leturcq,
Professeur honoraire à l'INSA de Toulouse