Lettre du LAAS

Publication trimestrielle du Laboratoire
d'analyse et d'architecture des systèmes du CNRS

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Yves Sévely, professeur d’automatique à l’Université Paul Sabatier, ami et collaborateur de longue date de Jean Lagasse, a fait partie de l’équipe fondatrice du LAAS, alors Laboratoire d’automatique et de ses applications spatiales, conduite par ce dernier. Dès 1972, les programmes d’"applications spatiales" du CNES connaissant une sorte de creux qui risquait de diminuer les ressources du laboratoire, Yves Sévely a, avec Georges Giralt, été l’artisan d’une nouvelle orientation en faveur d’une politique d’automatique industrielle. Cette nouvelle dynamique, tournée résolument vers le numérique naissant, a donné lieu, sans changement d’acronyme, à une nouvelle appellation du LAAS qu’il a lui-même proposée : Laboratoire d’automatique et d’analyse des systèmes. Il est resté au LAAS, qu’il n’a pas souhaité diriger malgré la sollicitation de son ami Jean Lagasse, jusqu’à sa retraite en 1988, trouvant là « un cadre de vie professionnel exceptionnel ».

Dans ma mémoire, mai 68 n'est pas prioritairement lié au LAAS. C'est aux discussions sans fin que nous avons eues avec nos étudiants, pendant plus d'un mois, que je pense d'abord. Nous essayions de les convaincre qu'associer un peu de bon sens à leurs revendications n'était pas forcément idiot... mais ceci est une autre histoire. Parlons donc du LAAS ! Il a quarante ans, et je l'ai quitté il y a vingt ans. Cette dernière précision ne vise qu'à tempérer les sourires que pourrait susciter l'évocation de certaines de mes préoccupations de l'époque, triviales aujourd'hui. Pour éviter au maximum les redites avec les autres exposés, au risque, désagréable, d'être égocentrique, je me limiterai à des événements où j'ai été personnellement impliqué.
À la création du LAAS, j'ai proposé à Jean Lagasse, JL comme nous l'appelions, de me consacrer à la conduite des procédés continus : modélisation, identification, commande, optimisation, poursuivant ainsi nos travaux du LGE1. Nous voulions mettre l'accent sur l'utilisation du numérique, la seule technique utilisée jusqu'alors dans l'industrie étant l'analogique. JL m'a donc confié la responsabilité du groupe de recherche « Optimisation des processus physicochimiques ». J'y dirigeais plus particulièrement l'équipe « Conduite d'unités pilotes par calculateur numérique ». Ce type d'activité ne recueillait pas une approbation unanime, les puristes voulant limiter la compétence du CNRS à la recherche fondamentale. La création en 1975 par JL du département Sciences physiques pour l’ingénieur, SPI, du CNRS, a justifié a posteriori notre conviction. Cette activité a été possible grâce à la collaboration amicale que nous entretenions avec nos collègues chimistes de l'INSA, les professeurs Mauret et Roques (pilote d'acétate de vinyle, colonne d'absorption, reforming catalytique). Nous avons ensuite orienté nos recherches dans le domaine des biotechnologies, avec les Professeurs Durand et Goma (fabrication de protéines à partir d'hydrocarbures légers et de méthanol, optimisation de diverses configurations de réacteurs en fermentation etc.) Les industriels ont été longs à utiliser les ordinateurs.

"Nous voulions mettre l’accent
sur l'utilisation du numérique"

Je me souviens d'une très longue conversation que j'ai eue avec le directeur de la SNPA à Lacq. C'était, bien sûr, pour le convaincre d'introduire le numérique dans la commande de leurs unités. La SNPA était riche, elle pouvait investir ! D'autant plus que ses ingénieurs auxquels je donnais des cours sur les systèmes échantillonnés étaient motivés. Elle devait être une vitrine !

Commande numérique : de nombreuses thèses et une première mondiale
Le LAAS était le principal laboratoire d'accueil du DEA d'automatique. Pendant longtemps, l'université a gardé jalousement le privilège d'octroyer le doctorat correspondant. Les écoles d'ingénieurs ayant une activité de recherche mais ne dépendant pas de l'Education nationale devaient solliciter notre « parrainage » C'est ainsi que j'ai été amené à présider des thèses encadrées par mes alter ego Fossard, Delmas..., au CERT2, le laboratoire de recherche de Supaéro3. Il m'est agréable de signaler que ce laboratoire, dirigé par mon ami M. Pélegrin, a été pour beaucoup dans le prestige accru de l'automatique à Toulouse. En ce qui concerne le LAAS, je ne peux pas citer ici tous les thésards (une douzaine environ) qui ont fait progresser la commande numérique, avec l'aide du service technique informatique du labo (J-P Gouyon...) et de mon fidèle collaborateur J-B Pourciel. Je ferai une exception pour D. Ribot. Sa thèse sur la commande numérique et l'optimisation d'une unité pilote de fermentation continue l'a sans aucun doute grandement aidé à occuper une position éminente dans les études et la réalisation d'abord du pilotage automatique numérique de l'Airbus A300 et ensuite des premiers systèmes de commande de vol électriques par minimanche de l'A320 qui ont été une première
mondiale.

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© Jean Dieuzaide

Lorsque il a quitté la direction du LAAS, Jean Lagasse m'a demandé de prendre sa succession. J'ai refusé en lui disant que si être le plus ancien dans le grade le plus élevé (expression qu'il avait utilisée) n'était pas rédhibitoire pour occuper ce poste, ce n'était pas non plus une assurance de succès. Je pense, comme Socrate (excusez le rapprochement !) que la devise gravée sur le fronton du temple de Delphes, « connais-toi toi-même », est pleine de sagesse, en particulier lorsque l'on doit prendre une décision importante. JL me connaissait bien et quand il a compris que ma décision était irrévocable, il m'a embrassé et n'a pas insisté. Ma contribution extra scientifique s'est essentiellement bornée à lui proposer en Janvier 1973 de remplacer, dans l'intitulé du laboratoire, Applications spatiales, que la nature de nos activités ne justifiait pas, par Analyse des systèmes, assurant ainsi la pérennité du sigle LAAS. Je l'avais totalement oublié jusqu'à la lecture récente d'un entretien que JL a eu avec M. Grossetti en 1990 où ce détail est mentionné. Quant à l'intitulé actuel, je comprends très bien les motivations de ceux qui l'ont proposé, mais je dois reconnaître, ayant participé à la promotion de l'automatique à Toulouse, que j'ai été heureux d'appartenir, jusqu'à ma retraite, au Laboratoire d'automatique et d'analyse des systèmes. Je tiens pour terminer à remercier les directeurs qui se sont succédés, mes collaborateurs, l'ensemble du personnel et, « last but not least », mes thésards. Grâce à eux, le LAAS a été pour moi, comme pour bien d'autres, un cadre de vie professionnel exceptionnel.

Yves Sevely
Professeur honoraire d'automatique à l'Université Paul Sabatier et chercheur au LAAS de 1968 à 1988

1 Laboratoire de génie électrique
2 Centre d’études et de recherche de Toulouse, également implanté en 1968, aujourd’hui ONERA, Centre de Toulouse
3 Aujourd’hui ISAE, Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace