Lettre du LAAS

Publication trimestrielle du Laboratoire
d'analyse et d'architecture des systèmes du CNRS

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Luca Zaccarian,
43 ans,
directeur de recherche au CNRS dans l'équipe Méthodes et algorithmes en commande

Vous avez été recruté comme directeur de recherche au CNRS et affecté au LAAS en 2011, quel a été votre parcours ?
J'ai toujours été affilié à l'université de Rome, Tor Vergata, où j'ai fait mes études. Après ma thèse, j'ai obtenu un poste de technicien la première année puis je suis devenu chercheur, ricercatore, et enfin professeur en 2006. J'ai cependant déjà été exposé à l'environnement international au cours de ma carrière. J'ai vécu deux ans aux Etats-Unis à la fin de ma thèse et j'y ai gardé de nombreux contacts, en particulier à Santa Barbara avec Andy Teel avec qui je viens de terminer l'écriture d'un livre. J'ai voyagé en Australie et je continue à collaborer avec le professeur Dragan Nesic à Melbourne. J'ai de nombreux contacts en Europe et j’ai fait récemment un séjour à l'Université de Linz en Autriche. Venir ici était tout de même quitter un environnement dans lequel j'ai étudié puis travaillé pendant plus de 20 ans.

Peut-on dire que vous êtes un pur produit de l'école Italienne ?
Je suis à la fois le produit du système éducatif italien et celui d'une école de pensée internationale qui doit beaucoup à Petar Kokotovic, un des chercheurs les plus importants de ces 50 dernières années en commande non-linéaire, avec qui j'ai travaillé deux ans à la fin de ma thèse. Cela n’est pas contradictoire car c'est grâce au système italien, qui incite et finance des séjours long à l'étranger, que j'ai acquis cette expérience internationale et c'est grâce aux contacts de mes professeurs à Rome que j'ai pu rejoindre l'équipe de Petar aux Etats-Unis. Je suis le produit d'un système Italien très ouvert sur l'international.

Quel est votre domaine de recherche ?
Le cadre est celui des systèmes de commande. Il s'agit de comprendre la meilleure façon d'interagir avec un dispositif pour qu'il ait le comportement souhaité. Un exemple typique est le système d'atterrissage automatique pour des avions. Celui-ci agit sur les gouvernes, les ailerons, c'est à dire les éléments modifiables de l’appareil pour son atterrissage en douceur : c'est le comportement souhaité. L’élément central est donc l'actionneur, une valve, un composant électronique, un injecteur de carburant. L'autre élément essentiel est de pouvoir faire des mesures sur la base desquelles on décide de ce qu'il faut faire : c'est le système de commande. D'autres situations sont considérées dans le domaine de l'Automatique, mais cette configuration est le cadre standard.
Personnellement, je travaille dans le sous-domaine de la commande non-linéaire, qui est aussi celui de mon équipe au LAAS. Mes contributions principales de ces dernières années, publiées récemment dans un livre, ont porté sur la commande saturée. Quand on commande un moteur électrique, on ne peut pas appliquer plus qu'une certaine différence de potentiel, 10 volts par exemple. Ce type de limitation produit parfois de mauvais comportements des systèmes commandés. Savoir comment traiter ces saturations permet d'améliorer la performance des systèmes de commande.
Pour construire nos résultats, nous utilisons beaucoup de mathématiques. Nos publications ressemblent à des assemblages de formules que l’on peut heureusement appliquer ensuite à beaucoup de situations pratiques dans des contextes très différents. Par exemple, j'ai travaillé sur la suppression active de vibrations pour des tables utilisées dans la fabrication de semi-conducteurs. L'objectif était de supprimer les vibrations résiduelles du sol au niveau de la surface de la table. Les résultats développés se sont révélés applicables pour la commande de portes d'écluses dans un contexte de systèmes d'irrigation en Australie. Les portes, situées tous les 2-3 kilomètres le long des fleuves, devaient assurer un débit constant en aval tout en évitant débordements et pertes en amont.

Vous parlez de commande non-linéaire en général, des saturations en particulier ; avez vous un objectif global qui dirige vos recherches ?
Non, je ne le crois pas. Je ne cherche pas à travailler spécifiquement dans un domaine restreint. Je ne me donne pas l'objectif de résoudre tel problème en fin de carrière. Je regarde plutôt à l'entour à la recherche de nouvelles formulations de problèmes et j'y apporte mon point de vue personnel, un regard orienté. Il y a des problèmes que je n'aime pas. J'ai des sentiments sur les questions que je considère. Pour certaines, je deviens vraiment passionné. J'y vois comme un motif, non pas physique mais une structure mathématique. Quand j'aborde un problème, il m'arrive de ressentir qu'il doit y avoir une manière à la fois élégante et efficace de le résoudre. Qu'il y a une solution dont l'élégance est signe de sa qualité. L'élégance et la simplicité d'une solution qui dans le même temps répond au nœud du problème est selon moi ce qu'il faut pour que ce soit une solution très efficace. 

Les avancées dans votre domaine sont-elles le fruit de coopérations scientifiques ou bien d'avancées techniques et de réalisations ?
Le défi en recherche est de convaincre les autres de la pertinence de sa façon de voir, mais aussi d'apprendre de leur façon d'aborder les questions. Pour moi, l'ingrédient essentiel de la recherche, c'est la collaboration et l'interaction. Un collègue m'a fait remarquer que je n'avais presque pas de publications où j’étais seul auteur. J'ai bien alors publié seul quelques papiers sur un nouveau sujet mais ce n'était pas drôle. J’ai pris plus de plaisir par la suite en retravaillant ce même sujet avec des collègues. Quand j'ai préparé mon oral pour le concours du CNRS, j'avais un planisphère avec les noms de tous mes collègues à travers le monde. Une sorte de couverture maximale de la carte. C'était mon dernier transparent. Quant au premier, il résumait la philosophie de mon travail de recherche. J'avais placé les applications d'un côté et la théorie de l'autre. La recherche fonctionne en allant de l'un à l'autre. Mon sentiment est que les applications servent de guide. Elles peuvent être sources d'inspiration pour une théorie mais elles ne font in fine qu'illustrer, car pour comprendre une propriété fondamentale d'un système de commande on doit passer par les mathématiques. L'étude des réservoirs, des systèmes électriques, des masses en mouvement sont sources d'inspiration. C'est cependant la synthèse que l’on en a faite qui permet d'aboutir à une avancée majeure dans notre domaine, à un nouveau schéma de commande par exemple. Les éléments technologiques sont comme des éléments du puzzle que nous manipulons. La théorie est ce qui fait coller les pièces et le processus de son élaboration passe par l'échange entre chercheurs.

Vous collaborez avec de nombreux chercheurs, a priori très divers, comment ces relations de travail se mettent-elles en place ?
Mon expérience fondamentale de ce point de vue a été mon séjour à Santa Barbara.J'ai pu prendre contact avec les personnes issues de cette même école de pensée qui est loin d'être une école locale. L'avantage d'une école est son langage commun et une compréhension mutuelle qui facilitent les relations. Ensuite, ce qui a pour moi transformé des contacts en collaborations, c'est la passion. Je fais les choses par désir et non pour l'argent ou quelque objectif caché. Je travaille avec des personnes avec qui j'ai plaisir à travailler. L'appréciation mutuelle est fondamentale pour une bonne coopération. Il m'est arrivé de commencer des interactions et de ne pas ressentir cette appréciation mutuelle, ce qui m'a bloqué au point de devoir les arrêter.

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Vous parlez beaucoup de collaboration, jamais de compétition.
La compétition ne m'intéresse pas. Certains sont effectivement dans la compétition, on le constate lors de conférences où ils se prennent très au sérieux et ont des comportements agressifs. La recherche n'est pas que collaboration mais j'essaie de rester à l'écart de la compétition. Il m'est arrivé de délaisser certains travaux à mi-chemin, car du fait de la compétition, ils me rendaient plus mécontent qu’heureux. On peut se réjouir d'ailleurs de ne pas recevoir de primes en fonction du nombre de nos publications, ce système générateur de compétition n'est pas en vigueur en France, en Italie encore moins, mais il est malheureusement présent dans certains pays.

Vous êtes impliqué dans de nombreuses activités éditoriales, le faites-vous par simple obligation envers la communauté ?
La première raison de mon engagement est que le travail éditorial permet d'entrer en contact avec des chercheurs de très haut niveau eux-mêmes impliqués dans ces comités éditoriaux. La deuxième raison, pour les conférences en particulier, c'est de ne pas refuser la sollicitation d’une personne que j'apprécie. Enfin, je dois convenir que le regard sur vos travaux est parfois plus attentif lorsque l’on sait que vous êtes impliqué dans le système éditorial. Le travail éditorial fait partie du travail de tout chercheur qui veut être connu. Il faut en quelque sorte entrer dans le système. On y apprend cependant beaucoup, notamment à repérer les points faibles d'un travail de recherche et à renforcer ce qui est de qualité.

Vous étiez professeur, maintenant vous n'avez plus d'obligation d'enseigner. Est-ce que les étudiants vous manquent ?
Globalement non. Certains oui. En Italie, on a de très bons étudiants. On leur enseigne avec passion et on les forme mais dès lors qu'ils sont bien préparés pour la recherche, ils partent, par manque de moyens dans le pays où les bourses doctorales sont ridiculement faibles. Cette situation est frustrante. Il y a une autre raison, c'est qu’enseigner à des classes de deux à trois cents étudiants est un travail énorme, surtout au moment des examens. Je ne souhaite pas pour autant abandonner l'enseignement. Je suis persuadé que j'aurai la possibilité de proposer des enseignements ici à Toulouse où la communauté de l'Automatique est si importante. Des enseignements qui pourraient être plus proches de l'actualité de mes recherches que ce que je faisais à Rome.

Quelles autres spécificités voyez-vous dans le statut de chercheur du CNRS ?
L'élément fondamental ici est l'absence de pression. Il y a une forte sélection lors du recrutement. Par la suite, le système s'intéresse à votre activité, avec les évaluations régulières ou par le fait que l’on doit déclarer chaque papier soumis. C'est fait dans l'esprit de complimenter et de voir si vous produisez des connaissances, quelles qu’elles soient. Personne ne vient vous voir en disant : tu dois travailler là-dessus. Je trouve le système très sain. C'est un bon compromis entre le système Italien qui valorise mal l'activité de ses chercheurs et le système américain où la pression est énorme sur la recherche de financements et la course aux récompenses internationales. Ici, les chercheurs ont des personnalités fortes, font un travail plus que correct, mais sans stress particulier, sans que cela détruise leur vie personnelle.

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© LAAS-CNRS/Anne Mauffret

Comment jugez-vous les conditions de travail ici au LAAS ?
Je dois dire que je ne m'attendais pas à aussi bien. Je trouve que les interactions de travail sont particulièrement simples et se sont faites très vite. Le fait d'aller à la cafet' ensemble et de discuter autour d'un café, les choses se sont faites simplement et avec la totalité des membres du groupe. Mais pas seulement. En décembre, j'ai croisé à une conférence mondiale des chercheurs d'autres labos français qui, travaillant déjà avec mon équipe au LAAS, m'ont félicité d'avoir rejoint le LAAS et se réjouissaient des perspectives qui s’ouvraient. J'ai l’impression de rejoindre une grande famille. Assez rapidement, l’équipe m'a proposé d'intervenir sur des contrats pour contribuer à la recherche de moyens pour le laboratoire, sans m’en faire l’obligation. J’ai pu dès le début utiliser les moyens existants, dans la mesure du raisonnable bien sûr, sans que se soit cloisonné par projets. C'est là aussi une façon saine de gérer les choses.

 Vous êtes maintenant fonctionnaire français, complètement immergé dans un système nouveau, quelles sont vos impressions ?
Les conditions de vie en France sont une des principales raisons qui m'ont attiré ici. Avec deux enfants, nous avions une vie difficile à Rome. Ici c'est très différent. Quand il fait beau, on saute sur les vélos, en dix minutes on est au parc où les enfants peuvent jouer et où les gens se retrouvent, font voler des maquettes d'avion... En dix minutes de voiture, on est au Muséum  où mon fils Lorenzo adore aller. On voit très vite ici tout le potentiel pour une vie quotidienne saine. Évidemment, nos familles et nos amis nous manquent, et nous leurs manquons. Nous sommes dans une phase d'adaptation, devons apprendre la langue et trouver de bons amis.

Qu’aimeriez-vous ajouter ?
J'aimerais partager mes bonnes impressions. Dès le premier jour, j'ai eu le sentiment que tout le monde était heureux de mon arrivée. J'ai connu des endroits où les gens étaient jaloux sans autre raison qu’un peu de crainte. Je suis fasciné ici par le système. Les nouveaux venus sont sélectionnés par un comité national qui a peu à voir avec le labo, si bien que quand une personne est recrutée, c'est vécu comme une sorte de cadeau qui offre de nouvelles compétences et de nouvelles possibilités d'interactions sans crainte de vol des ressources. C'est une particularité du système français dont on ne se rend peut-être pas assez compte quand on est dedans.