La recherche opérationnelle appliquée à la logistique hospitalière en période de crise Covid19
La recherche opérationnelle est apparue dans un contexte de crise au cours de la Seconde Guerre mondiale pour pallier aux besoins militaires, en étant applicable rapidement sur le terrain notamment pour la gestion des convois d’approvisionnement. Par la suite généralisée par le domaine industriel, elle offre aujourd’hui son expertise pour les besoins logistiques dans la lutte contre le COVID-19, où l’approvisionnement de certains produits se heurte au problème de pénurie mondiale.
Dans le cadre de la lutte contre le COVID-19 qui nécessite beaucoup de matériels (masques et protections, réactifs pour les tests, etc.), il existe des méthodes de recherche opérationnelle généralisables pour tout type de marchandises. Christian Artigues de l'équipe ROC - Recherche Opérationnelle, Optimisation Combinatoire et Contraintes et Alexandre Dupaquis, stagiaire au sein de la même équipe, en collaboration avec Jean-Charles Billaut de l'Université de Tours et de ROOT1 et Thierry Garaix de l'école des Mines de St Étienne et du LIMOS2 ont présenté un projet sur l'optimisation d'approvisionnement en matériel médical.
À la frontière entre mathématiques et informatique, les chercheurs ont voulu « tester à l'échelle nationale ou régionale l'optimisation de la gestion des flux de matériel médical en tenant compte des ressources disponibles et des besoins ». C'est en ce but qu'ils ont choisi de modéliser des problèmes à l'aide d'outils mathématiques et les résoudre avec des outils informatiques afin d'obtenir des solutions le plus rapidement possible. Les variables représentent les décisions possibles, des contraintes sous la forme d’équations ou d’inéquations que doivent satisfaire ces variables, des fonctions pour les objectifs à atteindre, et des probabilités pour modéliser l'incertitude.
Jean-Charles Billaut et Christian Artigues envisagent ainsi « d’utiliser les outils de recherche opérationnelle afin de proposer la meilleure localisation pour la distribution de masques grand public ou encore sélectionner les endroits où il est le plus pertinent de placer un centre mobile de dépistage3 ».
Dans la gestion de flux physiques qui permet d'optimiser et de prévoir en amont, l’usage des algorithmes de graphes habituellement efficaces pour planifier l’approvisionnement de matériel à destination des soignants et des patients, a ses limites. Pour identifier le flot optimal dans le graphe, les problèmes à résoudre ne rentrent pas dans les modèles prédéfinis. Dans ce cas, la programmation mathématique vient en renfort pour la résolution de problème à l'aide de solveurs, outils logiciels génériques particulièrement performants. En respectant le language reconnu par le solveur, cette technique de modélisation qui se base sur des variables, des inconnues à déterminer et des contraintes à respecter, permet ainsi de traiter tout problème d'optimisation. Car « quand on ne sait pas où sont localisés les centres de distribution et les destinataires (représentés par des nœuds dans le graphe), ces nœuds deviennent hypothétiques, nous obtenons un nombre astronomique de possibilités pour les placer, impossible à énumérer même avec un ordinateur surpuissant ».
C’est ce qu’on appelle l'explosion combinatoire des décisions possibles, qui nécessite l'utilisation de solveurs permettant de programmer de nouveaux algorithmes en cas d'échec des précédents. Les chercheurs démontrent alors comment palier les problèmes difficiles de la planification dans le temps ou d’ordonnancement d’activités : par exemple pour la distribution des masques grand public sur rendez-vous, délivrés quartier par quartier afin d’éviter l’engorgement et ainsi minimiser les risques de propagation du virus. Aujourd’hui, le principal frein à ces projets réside dans le manque d’accès aux données nécessaires pour les expérimentations numériques.

exemple de modélisation, optimisation de la gestion des flux de matériel médical ; crédit image : Jean-Charles Billaut
Après présentation des problèmes de logistiques à l’échelle nationale ou régionale, Thierry Garaix quant à lui, s'est penché sur les problématiques à des niveaux locaux grâce à « des simulations en estimant des tendances du nombre de patients COVID-19 sur les différents établissements pour permettre d’anticiper les commandes en équipements de protection individuelle ». Cette méthode s’applique également aux produits pharmaceutiques en se basant sur le même principe : avoir une typologie de patients pour calculer la consommation en médicaments, qui varie en fonction de l’avancement de la maladie.
Depuis plus d’un mois, le système continue d’évoluer avec l’implémentation de données supplémentaires qui l’alimentent. Ces simulations sont essentielles pour prédire la donnée critique, le nombre de cas COVID-19, et de ce fait éviter une rupture de stock, par exemple.
[…] lire la suite sur le site de l’INS2I
Retrouvez aussi l'interview de Christian Artigues en podcast sur le Soundcloud CNRS ou sur la chaîne YouTube CNRS
1Recherche Opérationnelle, Ordonnancement, Transport (ROOT - CNRS/Université de Tours)
2 Laboratoire d’Informatique, de Modélisation et d’optimisation des Systèmes (UMR 6158 LIMOS - CNRS/École des Mines de Saint-Étienne/Université Clermont Auvergne)
3 L’optimisation des tournées de centres mobiles de dépistage est un projet de Frédéric Semet professeur à l’École Centrale de Lille, membre du Centre de Recherche en Informatique, Signal et Automatique de Lille (CRIStAL - CNRS/Université de Lille/École Centrale de Lille). La localisation d’installation stratégique de ressources (comme les centres de tests) est également un projet d’Andréa Cynthia Santos Duhamel, professeure à Normandie Université / LITIS / ISEL