Lettre du LAAS

Publication trimestrielle du Laboratoire
d'analyse et d'architecture des systèmes du CNRS

Portrait de Jean-Claude Laprie

© LAAS-CNRS/Patrick Dumas

Le LAAS a perdu un de ses grands chercheurs. Jean-Claude Laprie est décédé dimanche 17 octobre 2010 à Toulouse, à l’âge de 65 ans. Directeur de recherche de classe exceptionnelle au CNRS, Jean-Claude Laprie a voué toute sa carrière à la recherche scientifique, au LAAS, dans le domaine de la sûreté de fonctionnement informatique dans ses aspects fondamentaux.

« Toute une vie de chercheur » est le titre que Jean-Claude Laprie avait donné à son article dans ces colonnes en avril 2010, souhaitant par là signifier à la fois que l’ensemble de sa carrière avait été consacrée à la recherche et que celle-ci occupait tout son temps et son esprit.Jean-Claude Laprie est entré au LAAS en 1968 pour y préparer un doctorat sur la commande d’attitude de satellites géostationnaires par propulsion ionique. Il s’agissait pour le jeune ingénieur de l’ENSICA de satisfaire une curiosité intellectuelle avant d’entamer une carrière dans l’industrie. Très vite, il attrape ce qu’il appellera « le virus de la recherche ». Il réussit le concours d’entrée au CNRS en 1973 et s’oriente vers la sûreté de fonctionnement informatique qui sera le sujet de sa thèse d’Etat soutenue en 1975. Porté par l’atmosphère d’enthousiasme qui règne dans ce nouveau laboratoire du CNRS et les encouragements persuasifs de son directeur fondateur Jean Lagasse, il y fonde et dirige dès 1975 une équipe de recherche dans cette thématique scientifique alors naissante, où il entraine des chercheurs qui l’entourent.

Sa fierté scientifique et, disait-il, « la source majeure de la notoriété qui m’est accordée, réside dans la structuration et la formulation des concepts de base de la sûreté de fonctionnement et de la terminologie associée ». Ces concepts sont énoncés dans des articles et communications qui seront abondamment cités comme référence, ainsi que dans l'ouvrage en cinq langues : Dependability, Basic Concepts and Terminology qu’il publie chez Springer Verlag en 1992.

Le portrait de Jean-Claude Laprie projeté sur la façade du Panthéon, à Paris

© Pierre Maraval

Jean-Claude Laprie concevait la recherche selon le modèle du Quadrant de Pasteur[1] qu’il évoquait souvent, alliant quête de compréhension fondamentale et souci d’utilisation. Fidèle en cela à l’esprit du LAAS depuis sa fondation, et conscient des préoccupations de l’industrie, il a toujours entretenu des liens étroits avec ce secteur, jusqu’à fonder en 1992 dans les murs mêmes du LAAS un laboratoire commun d’ingénierie de la sûreté de fonctionnement, le LIS. Outre l'enrichissement intellectuel mutuel dont témoigneront les participants de l'expérience du LIS, nombre de collaborations ont influencé les approches industrielles de la sûreté de fonctionnement. Au premier chef, les systèmes critiques comme les transports aériens, notamment les systèmes avioniques, les transports ferroviaires ou la production et distribution d’énergie électrique.

L’avènement des systèmes informatiques ubiquitaires pose de nouveaux défis qui requièrent des concepts novateurs. Le concept de résilience informatique était au cœur des travaux du réseau d’excellence européen ReSIST, Resilience for Survivability in Information Society Technologies, qu’a initié et dirigé Jean-Claude Laprie de 2006 à 2009. Dans un autre article sur la sûreté de fonctionnement informatique publié dans la Lettre du LAAS à l'occasion du 40e anniversaire du laboratoire[2] intitulé "Ce n'est qu'un début…", il considérait que le changement de paradigme serait un véritable combat qui exigerait des chercheurs, en plus de la rigueur et du souci technologique, "encore plus d'imagination".

Imagination. Liberté. Rigueur. Ces trois valeurs supérieures selon lui à associer au métier de chercheur ont forgé sa pensée et sa vie scientifiques. Allergique aux structures trop hiérarchisées, il défendait une vision de la recherche telle que l’a longtemps permise le CNRS, dans la durée et la liberté intellectuelle. « Un chercheur doit avoir la liberté de tracer une route scientifique en toute indépendance intellectuelle. Personne ne m’a enjoint de faire de la sûreté de fonctionnement informatique. Le CNRS m’a accueilli en 1973 et je lui sais extrêmement gré de m’avoir permis de tracer ma route scientifique ». 

Les qualités scientifiques de Jean-Claude Laprie ont été reconnues par la communauté nationale et internationale, notamment au sein de l’IFIP, International Federation for Information Processing, qui l’a élu vice-président de 2002 à 2008 et dont il a présidé et accueilli à Toulouse le World Computer Congress en 2004. L’IFIP lui a remis la Silver Core en 1992. Le CNRS lui a décerné la médaille d’argent en 1994 et l’Académie des sciences son grand Prix, fondation EADS, en 2009. Le LAAS, qu’il a dirigé de 1997 à 2002, a organisé autour de lui à cette occasion en avril 2010 des journées scientifiques « Dependability of Computing Systems, Memories and Future » et fait réaliser un film[3] où se dessinent, au fil de sa parole et de témoignages, les traits personnels. Capacité unique d’abstraction et de formalisation, attachement viscéral à la liberté académique, charisme un rien autoritaire dans ses fonctions d’animation et de direction, reconnaissance mêlée d’inquiétude à l’égard du CNRS. Ses qualités humaines, son allant et son talent de rassembleur et de meneur ont influencé profondément ses compagnons de vie scientifique et marqué le LAAS. La tristesse du LAAS est comme l’œuvre de Jean-Claude Laprie, immense.

[1] Donald E. Stokes, Pasteur’s Quadrant, Basic Science and Technological Innovation, Brookings, 1997

[2] La Lettre du LAAS n° 37, octobre 2008

[3] Jean-Claude Laprie, De la sûreté de fonctionnement à la résilience en informatique, par Jean-Luc Prince, 19 minutes, production LAAS, avril 2010, visible sur le site du LAAS ou sur Dailymotion