Lettre du LAAS

Publication trimestrielle du Laboratoire
d'analyse et d'architecture des systèmes du CNRS

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© LAAS-CNRS/Aurélien Bancaud

Le succès des techniques de fabrication collective sur silicium s’est traduit par la commercialisation massive de microsystèmes à bas coûts, très intégrés, capables d’effectuer un grand nombre d’opérations en parallèle, et dont les performances semblent progresser presque quotidiennement. Ces technologies sont issues des approches de conception descendante, top-down, de la microélectronique, bien adaptées à la réalisation de systèmes dont les constituants de bases sont de taille micrométrique, et l’intégration complète du système est réalisée dans un volume de quelques cm3. Ces avancées sont à mettre en perspective avec les approches de conception ascendante, bottom-up, plus récentes, héritées de la chimie et de la biologie et ouvrant la voie à l’utilisation de nano-objets aux dimensions, géométries et propriétés physico-chimiques multiples. L’intégration de nano-objets dans des architectures contrôlées de l’échelle nanométrique à l’échelle millimétrique reste toutefois un défi non résolu, qui ouvre la voie à la fabrication de matériaux ou à la conception de capteurs/actionneurs aux propriétés encore inexplorées.

L’association des deuxvoies top-down et Botton-up semble être une approche incontournable pour améliorer des dispositifs existants grâce, par exemple, à de nouveaux matériaux nanostructurés, mais également pour concevoir de nouveaux dispositifs fonctionnels. Si ce mariage très pluridisciplinaire change radicalement notre manière de concevoir les micro-nano systèmes en associant matière organique et inorganique, il devra s’appuyer sur des filières technologiques matures existantes dans les plateformes technologiques du premier cercle mais aussi sur l’utilisation de technologies émergentes chimi- ou bio-inspirées. Les technologies bio-inspirées semblent en effet particulièrement prometteuses à la fois pour concevoir des nano-objets dont l’architecture est contrôlée en 2D et en 3D, mais aussi pour l’assemblage dirigé de ces objets à l’échelle nanométrique et leur l’intégration hiérarchique dans un système conçu en intégrant des unités fonctionnelles robustes du millimètre au nanomètre.

Potentiel concret des technologies bio-inspirées
L’ADN est l’exemple le plus ancien de matériau biologique détourné de sa fonction originale pour effectuer des opérations technologiques en exploitant ses propriétés de reconnaissance en double hélice pour détecter une cible dans un mélange, comme dans les puces à ADN, et pour concevoir de nouveaux nano-objets architecturés en 3D. En témoigne la réalisation récente par une équipe danoise de boîtes tissées en ADN susceptibles de s’ouvrir sous l’effet de stimuli contrôlés. Bien plus remarquable, la séquence d’ADN peut être sélectionnée pour lui conférer des propriétés de capteur d’objets biologiques et non-biologiques ; il est alors aptamère et peut séparer des nanotubes de carbone selon leur chiralité (cf les travaux de Dupont). Les protéines offrent elles aussi un potentiel remarquable d’auto-organisation en 2D et 3D, et la capside du virus de la mosaïque du tabac forme un tube dont tous les constituants sont contrôlés à l’échelle atomique, et architecturé sur une dimension dépassant 100 nm. Ce support technologique est à la fois un nano-objet, mais aussi un moyen de passer de l’échelle nanométrique (les protéines élémentaires du tube) jusqu’à l’échelle d’intégration micronique (le tube).
L’utilisation de matériel biologique pour architecturer des nano-composants à grande échelle constitue un atout de la technologie bio-inspirée. L’ADN a été utilisé comme ciment de construction pour diriger l’agglutination de nano-particules en réseaux désordonnés, mais aussi en réseaux cristallins, ce qui ouvre la voie à la conception de nouveaux matériaux formés de nano-particules et dont l’architecture est contrôlée à toutes les échelles. Seuls quelques travaux illustrent le potentiel de ces nouveaux matériaux, en particulier ceux de Mirkin (USA), qui a obtenu les meilleures sensibilités de détection en bio-marqueurs.

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© LAAS-CNRS/Aurélien Bancaud

L’élaboration et l’intégration de nouveaux matériaux fonctionnels biocompatibles impliquent de développer des techniques d’assemblage génériques utilisables sur de grandes surfaces (supérieures au mm2) pour s’affranchir d’un verrou qui limite l’utilisation de ces objets à des études pour la physique et la chimie (quelques µm2 au mieux). Le potentiel applicatif déjà souligné par quelques publications est énorme et s’étale sur des domaines aussi divers que le stockage de l’énergie, la conception de matériaux énergétiques et photovoltaïques, les biocapteurs, les matériaux piezo-électriques ou la nanoélectronique.

Adéquation avec les méthodes douces d’intégration
Plus généralement, l’intégration de systèmes bio-inspirés appelle au développement de nouveaux procédés de fabrication, de nouvelles techniques et technologies de mise en forme, de structuration, de traitements de surface et d’intégration de matériaux hybrides (polymères, biopolymères, biomatériaux, matériaux inertes comme le diamant… côté matériaux ; plasma, embossage, encapsulation, assemblage… côté technologies). Ce travail est parfaitement en adéquation avec l’objectif de développer des technologies souples facilement déployables et adaptées à des applications pour la chimie ou la biologie sur le modèle des systèmes de type « patch » ou les microcapsules. Il semble essentiel d’optimiser les propriétés physiques, optiques, thermiques et électriques de micro-nanosystèmes pour qu’ils répondent au cahier des charges très contraignant de l’intégration hétérogène (perméabilité gazeuse, absorbance en fonction des longueurs d’onde utilisées, minimisation de la dilatation thermique, tension de claquages électriques…). Il s’agit donc d’un objectif technologique très pluridisciplinaire, et la tâche n’est encore qu’ébauchée.

Adéquation avec les développements industriels de demain
Les orientations stratégiques des fondeurs du silicium vers des substrats de plus en plus grands et des équipements de plus en plus chers, ce qui compromet significativement les chances de voir éclore des start-ups technologiques en France compte tenu des investissements prohibitifs nécessaires. De ce point de vue, l’axe stratégique à développer repose sur des outils de faible coûts (jet d’encre, embossage de polymères) que les industries françaises peuvent mettre au point, et qui seront accessible à une grande communauté de PME, qui auront l’opportunité de maîtriser les filières d’intégration de leur système.